Auteur à part
Il vit au dernier étage. Toits de Paris. Salon clair. Table de travail plutôt rangée. Bibliothèque fort bien pourvue : des livres sur Brando, Visconti, Kubrick, Bette Davis, l’incontournable Hitchcock/Truffaut… Bienvenue chez Régis Wargnier. Son comité d’accueil : Belle, une chienne trouvée dans la rue, dont personne ne voulait, sauf lui. Si on pousse aujourd’hui la porte de l’appartement du réalisateur, c’est pour parler ciné un peu, mais écriture beaucoup. Parce que son premier roman, Les Prix d’excellence (Grasset), vient de décrocher le Prix Cazes de la brasserie Lipp : « On m’a prévenu par texto que je l’avais remporté. » Puis il rappelle l’évidence de ce livre au regard de son cursus universitaire : « J’étais en lettres classiques à Nanterre en 1968… » A l’époque, l’idée était d’intégrer ensuite l’Idhec. « Mais avec 68, l’Idhec a fermé pendant deux ans. » Alors il va faire de la photo pour la mode, la pub, les soirées mondaines aussi. Mais il va vite se lasser, « car il n’y avait aucune progression, sauf celle du chiffre d’affaires ». Un matin, tôt, au retour d’une fête, il croise un ami régisseur qui le met sur « un coup » : en 1971, Wargnier est dépêché comme « doublure lumière » de Michel Piccoli sur le tournage de La Décade prodigieuse de Claude Chabrol. C’est son premier job pour le 7e art : un cadeau pour celui qui hante les salles obscures depuis l’âge de 4 ans. Gamin, il avait ses habitudes dans la salle des Orphelins d’Auteuil, le jeudi et le dimanche. « J’ai toujours voulu faire du cinéma », dit-il en caressant Belle. La suite, on la connaît : une dizaine de longs métrages pour le grand écran, d’autres pour le petit et une pluie de récompenses, dont l’Oscar du meilleur film étranger pour Indochine en 1991 et, en 2010, le Prix Henri-Langlois pour l’ensemble de sa carrière.
« J’emmène le lecteur où je veux »
Il a suscité la curiosité lors du déjeuner qui a suivi la remise du Prix Cazes. « Les critiques et les médias ont du mal à me considérer comme un écrivain », confie-t-il, un brin déçu. Car Wargnier n’hésite pas à se dire « frustré par l’écriture scénaristique », pour lui préférer la liberté que procure celle d’un roman. « On peut dire à quoi pensent les personnages, rentrer dans leur tête. Il n’y a aucun obstacle. Alors qu’au cinéma, durant la phase d’écriture d’un scénario, on pense économie, décors, acteurs, actrices, équipes techniques… » Résultat : dans Les Prix d’excellence, on voyage dans l’espace et dans le temps, les points de vue sont multiples, les routes des uns se coupent, celles des autres se rejoignent, Mathilde rencontre George… « J’emmène le lecteur où je veux », souligne Wargnier, auteur sans frontières. En faire un film ? Il y pense. « Pourquoi pas une série aussi, ou une suite au livre. » Il ne s’interdit rien. A commencer par l’écriture d’un nouveau roman, car il a apprécié cette traversée en solitaire face à la page blanche, qu’il a menée durant deux ans à Paris et en Bretagne. Pour l’heure, il s’apprête à faire la tournée des salons du livre. Une autre version du tour de France, où il doit jongler entre séances de signatures et horaires de train en pleine grève de la SNCF. « Pour réserver mes places, j’ai demandé conseil à un ami cheminot », explique celui qui siège au Conseil économique, social et environnemental. « J’appartiens au groupe des personnalités qualifiées, où je suis membre de la section de l’aménagement durable des territoires. » Son dernier rapport ? « Tourisme et numérique ». Un pavé dont Wargnier est fier, même s’il n’a pas prévu de l’adapter à l’écran.