Double « je »
Son nom : Laurent Piantoni. Mais tout le monde l’appelle « Laurent ». De chez Sip, où il prend son café et lit Le Parisien tous les matins, jusqu’au Bon Marché, où il supervise le rayon « encadrement » (maison Pinçon). Un corner de 7 m2, dédié au sur-mesure, où le Tout-Paris défile. Têtes couronnées, politiques, stars du 7e art ou de la télé, en passant par la concierge du quartier qui cherche un cadre un peu « chicos » pour y mettre la photo de son chien : époque formidable. « Avez-vous l’un des meilleurs carnets d’adresses de Paris ? » Réponse : « Oui ». Et Laurent exhume de sa réserve un cahier noir qui déborde de noms prestigieux, cartes de visite, numéros de téléphone écrits à la main, à l’ancienne -« rien ne passe par l’ordinateur ou Internet. Je n’ai même pas de smartphone »-. Un BTS de comptabilité en poche, sa destinée a pris une toute autre direction avec la guerre du Golfe. « J’étais alors comptable dans une entreprise impactée par ce conflit et qui a dû licencier. J’ai fait partie des partants », raconte Laurent. Mais pas question de rester à ne rien faire. Il accepte un remplacement de vendeur au Printemps Haussmann et, de fil en aiguille, se retrouve à chapeauter le stand « encadrement » du Bon Marché : « c’était il y a vingt ans ».
Il se compare à un acteur, avec son uniforme noir comme costume et son prénom comme nom de scène
« La vente m’a désinhibé », poursuit-il. Résultat : « aujourd’hui, j’ai deux vies. La perso, avec ma femme et mes enfants dans les Yvelines où j’habite, les vacances dans le Morbihan, et celle que je démarre dès que je mets un pied au Bon Marché ». Laurent se compare à un acteur, avec le grand magasin comme décor, son uniforme noir comme costume, son prénom comme nom de scène et la porte de service de la rue de Babylone comme entrée des artistes. Avec chaque jour une nouvelle « impro » à composer. Ce qu’il préfère dans son métier ? « Lorsque l’on me dépose un Corot ou un petit Bonnard et que je me retrouve face à l’œuvre. Je l’ai pour moi tout seul. Je peux la toucher, la tourner, la retourner, faire avec elle tout ce qui est interdit dans un musée ». Si le Bon Marché fait partie de sa double vie, c’est aussi parce qu’il y a croisé celle qui allait devenir sa femme. « Elle était cliente ? » « Pas du tout. Sa mère vendait des bougies dans un stand voisin du mien ». Laurent a donc rencontré sa future belle-mère avant sa future épouse. Pas banal. Comme son quotidien dans le grand magasin. « Heureusement, entre le Bon Marché et chez moi, j’ai 90 minutes de train, confie-t-il. C’est mon sas de décompression. Ce trajet m’aide à faire la coupure ». Et ce, même s’il monte toujours dans le même wagon pour retrouver des « collègues ». Des vendeuses pour la plupart : « j’évolue dans un univers très féminin. D’ailleurs, je me sens féministe. Pour moi, Simone de Beauvoir est l’écrivain de référence du XXe siècle ». A la question « en quelle année êtes-vous né ? » Il répond tout naturellement : « en 1970, comme le MLF ».