Entrée en scènes
Quand on lui demande de choisir un lieu pour la rencontrer, Soline d’Aboville hésite entre sa maison « au fond des bois », en Sologne, ou les abords de la Gaîté lyrique, à Paris. Par facilité, c’est dans le IIIe arrondissement que nous avons pris un café. Face au square Émile Chautemps, où elle aime observer, le matin, « les femmes qui font du tai-chi ». Il faut dire que la Chine l’intéresse : « j’ai découvert ce pays en 2010 et j’aime la vitalité, la créativité qui s’en dégagent ». A l’automne 2014, elle a effectué en trois semaines chrono un périple qui l’a menée de Paris à Hong Kong, via New York et Pékin. « Hong Kong, confie-t-elle, c’est comme la Sologne : il n’y a aucun référentiel connu. Des plantes à la nourriture, tout est à découvrir ». Non, elle n’est pas grand reporter, ni globe-trotter dans notre époque si formidable : « je suis scénographe et pas… sténographe ! C’est une histoire d’espaces… Je travaille pour des vitrines et pas pour le théâtre ». Son premier prof de dessin, elle s’en souvient encore : « parce qu’il nous demandait de peindre sur les murs ! » Elle avait 6 ans et tenir un pinceau debout, ça lui plaisait beaucoup.
« J’ai répondu à une petite annonce parue dans Libé »
Lycéenne, elle récidive avec le dessin en suivant des cours du soir dans les ateliers des Beaux Arts du Havre, ville où elle a grandi. « Si bien que lorsque je suis arrivée à Paris en 1994, après mon bac -où elle a eu 16 en philo-, je savais déjà dessiner ». Elle avait une longueur d’avance sur ses camarades de l’Atelier de Sèvres, avant d’intégrer les Arts déco l’année suivante. Son mémoire de fin d'études : elle l’a consacré à « la dimension auto-démonstrative des objets de voyage » et soutenu sous la direction de Gilles de Bure. Après ? « J’ai répondu à une petite annonce parue dans Libé. On recherchait quelqu’un pour faire de la PLV dans une agence de com’ ». Elle envoie son CV sans savoir ce que signifie PLV (publicité sur le lieu de vente). Sans savoir non plus que l’agence -les Ateliers ABC- travaille pour Cartier. « J’ai été prise ». C’est là qu’elle va découvrir « l’art de la vitrine », l’art de l’éphémère, l’art de raconter une histoire en puisant dans l’imaginaire. Le tout sous la houlette de l’architecte et designer Thierry Peltrault. Puis, ce seront des vitrines pour Louis Vuitton et Dior, avant de créer sa propre agence, baptisée Manymany, « parce que je touche à beaucoup de choses ». Cabinets de curiosités pour Boucheron, scénographie à Milan pour Baccarat, expo itinérante pour Chanel Joaillerie, vitrines pour Piaget, Lalique ou pour Hermès en Suisse, elle s’adapte à toutes les cultures et les maisons adoptent ses décors. « Quand j’ai quitté Dior pour me lancer en solo, je lisais la peur dans les yeux de mes proches ». Elle reconnaît qu’il faut « une dose d’inconscience » pour sortir du rang, mais la liberté d’action et de pensée est souvent à ce prix. Un message qu’elle relaye à l’école Mod'art international, à l’International fashion academy et à l’American business school. Ce qui lui permet d’éviter d’expliquer les subtilités de son métier à sa belle-mère de 76 ans : « pour elle, je suis prof, c’est plus simple ! »