Figure libre
« J’ai grandi en banlieue parisienne ». Sa vie commence ainsi, « sur les hauts de Chatou, à la frontière du Vésinet ». A l’époque, pas de RER, mais des champs, des maraîchers, des tracteurs et même des chevaux. C’était à l’orée des années 1960. Laurent Bolognini n’a alors qu’une envie : s’échapper, s’évader, quitter cette banlieue, « prendre l’air ». Ses premières escapades vers la capitale ? « J’étais ado, je prenais le train jusqu’à Saint-Lazare et j’allais me balader dans les musées ». A 16 ans, il décroche un CAP de conducteur routier. Le bon passeport pour se faire la belle. Avec ça, il peut tout piloter, à commencer par la mob’ avec laquelle il devient coursier pour une agence de voyages, rue de l’Arcade. Un soir, en prenant un verre avec un copain du côté de Mouffetard, il décide de partir plus loin encore : New York le tente. Bolognini a 20 ans. Il boucle un sac et traverse l’Atlantique. Sans un sou. « Là-bas, j’étais plongeur dans un resto français », confie-t-il. C’est le début d’une « errance », comme il dit, entre Kerouac et Alice dans les villes. Les aller-retour entre Paris et l’Amérique sont nombreux. Ce qu’il en reste ? Une succession d’images : une Chevrolet qui crame en Floride, une nuit à Long Island à mater des dizaines de chaînes de télé, des soirées new-yorkaises quand le CBGB programmait Debbie Harry, un service militaire qu’il a séché en se faisant passer pour un suicidaire, mais dont il a dépensé l’argent de poche des « trois jours » au flipper… Il est comme ça, « Bolo ». Un rien décalé. Sauf que, parfois, le choix de la marge joue des tours.
« Je travaille sans plan, juste avec des notes techniques sur un carnet »
« Je n’ai pas osé faire les Beaux Arts », avoue-t-il en buvant un café entre deux clopes. Lorsqu’il se découvre un intérêt pour la sculpture cinétique et l’art du mouvement, qu’il fait dialoguer avec la musique, il doit alors se faire repérer sans piston, sans copains de promo, sans parents galeristes. Un séjour à la Villa Médicis, à Rome, à la fin des années 1990, lui permet de concrétiser ses premières installations baptisées « Galiléographe ». Il suscite la curiosité, alors qu’il ne sait pas dessiner : « je travaille sans plan, juste avec des notes techniques sur un carnet ». Galeries, musées et collectionneurs viennent à lui. « Mon bricolage est reconnu comme de l’art ». Et ça fait quinze ans que ça dure. Quand il prépare une expo, notamment pour la galerie Denise René à Paris, il s’enferme. Il se coupe du monde. Ça le stresse un peu. « Ces temps-ci, je me lève à 5 heures du mat’ pour travailler et… voir le jour se lever ». Bolognini ne quitte plus son atelier, cerné par les tours du Chinatown parisien. Il vit au milieu de ses « machines », dont il perfectionne les moteurs et soigne les finitions. Un brin nostalgique, il évoque soudain la sablière où travaillait son père, sur les bords de Seine : « c’est là que j’ai appris la mécanique… en réparant ma mobylette ». Sans doute la meilleure des écoles, avec le recul. Car, aux Beaux-Arts, boulons à serrer et écrous à visser ne sont toujours pas au programme.