La discrète
Saint-Germain-des-Prés, c’est chez elle. Nadia et sa soeur aînée, Katia, sont nées à Paris, de parents venus de Russie. Nadia insiste sur ce passé : « en russe, on dit vis pendant que tu es vivant. Dans notre famille, confrontée à l’exil, la première des valeurs c’était la vie. La vie avant tout le reste, car on peut tout perdre du jour au lendemain ». D’où, sans doute, en héritage, un sens inné de la fête, du partage, de l’hospitalité, une largesse d’esprit et une ouverture aux autres. D’ailleurs, Nadia a fait mille et un boulots, dont vestiaire dans une célèbre brasserie du quartier où elle lisait Le Monde au milieu des manteaux. A cette époque -formidable-, le Flore, le Drugstore, Lipp, Castel avaient toute leur raison d’être. Puis, au milieu des années 1970, Nadia et Katia ont l’opportunité d’ouvrir une boutique de vêtements. Les deux soeurs réunies dans un même lieu : elles sont ravies. Inséparables -elles vivent dans deux rues voisines, près du marché Buci-, les « sisters » se lancent dans l’aventure durant l’été 1976. La canicule va alors les inspirer : le « frigo » d’appoint va baptiser la boutique. Clin d’œil à la chaleur accablante, mais aussi jeu avec les mots « free » et « go », Freego voit le jour. D’abord rue Dauphine, puis rue Jacob.
Marithé et François Girbaud dès 1977 et Ventilo avant l’heure
Assez vite, Nadia oeuvre pour que Freego devienne un QG de personnalités d’avant-garde, issues d’univers très divers. A l’image de Maïmé Arnodin, à la tête du Jardin des Modes dès les années 1950, initiatrice du prêt-à-porter et créatrice de l’agence de pub Mafia. En 1998, c’est elle qui a donné sa bénédiction à la collection de cachemires des « soeurs Freego ». Dans la foulée, l’agence Desdoigts crée le logo de la boutique. La photographe Françoise Huguier signe une série d’images pour le catalogue. Quant à Michèle Cerf, la costumière des films de François Truffaut et Bertrand Blier, elle était toujours sûre d’y trouver « les bonnes tenues qui collaient aux personnages ». Normal : ici, les deux soeurs ont défendu Marithé et François Girbaud dès 1977, ont vendu Ventilo avant l’heure, ont été les premières à croire au phénomène Go Silk, sans oublier les Saverio Palatella, Malo, Brunello Cucinelli, Diego Della Valle, Carhartt… Aujourd’hui, c’est aussi dans l’arrière-boutique que ça se passe. Une longue pièce vitrée, à l’abri des regards, où il faut être choisi, élu, sélectionné pour entrer. Les critères ? Avoir les idées larges, de l’humour, de l’esprit, de la légèreté. On y croise tantôt un artiste, tantôt un architecte, un photographe, un graphiste, un médecin, un kiné, un pro du Web… Chacun y va de son anecdote, du dernier film qu’il a vu, de tel article qu’il a lu, de ce qui le déprime, de ce qui l’enchante encore... Des conversations de bistrot. D’ailleurs Nadia propose toujours un café -« serré, allongé, sucré ou pas ? »- dans ce qu’elle appelle « l’espace de rencontres ». Un sas où, très vite, on oublie de regarder sa montre. Car ça peut se prolonger. Tard, le soir. On sort les verres et les bouteilles de vin nature de « l’ami Serge », le patron de la Grande Crémerie. S'ouvre alors, dans l'annexe de la boutique Freego, une parenthèse hors du temps, hors de tout. Un savoir-être loin du paraître.