Lié à une vache sacrée
Il a deux passions. L’art contemporain. Et le Leerdammer : « j’en mange beaucoup. C’est très addictif ». L’art, Laurent Fiévet a grandi avec. Enfant, alors qu’il rêvait de devenir « pâtissier-poète », il accompagnait ses parents dans les musées, au cinéma. Même scénario pour le fromage : c’est aussi une histoire de famille. Son grand-père, Léon Bel, a fondé les fromageries Bel, auxquelles on doit notamment la fameuse Vache qui rit. Après ses années de lycée à Condorcet, Fiévet s’inscrit aux Langues O. Il en prend pour quatre ans, durant lesquels il étudie le chinois. Mais après deux longs séjours en Chine et au Japon, il rentre à Paris. L’Asie, c’est fini. Retour à la fac : « des études théoriques de cinéma à Paris III ». Il va jusqu’au doctorat et enseigne à l’université, « où le contact avec les étudiants m’a beaucoup apporté ». Mais il n’est fait ni pour la hiérarchie, ni pour « le temps perdu en réunions pour des questions secondaires et non pédagogiques ». A la trentaine, il veut prendre l’air. Sortir du rang. Privilégier l’approche artistique à l’approche doctorale. Un parti pris pas toujours bien vu en France, « où l’on a tendance à regarder le parcours universitaire avant les propositions artistiques ». Une méthode incongrue pour Fiévet, qui cumule les casquettes d’enseignant, collectionneur et artiste : « je fais de la vidéo sans tourner d’images ». C’est sa façon d’évoquer ses installations. Et pour cause : « quand je dis que je suis artiste plasticien, d’aucuns pensent que je travaille le plastique… »
Le musée d’Helsinki expose ses Suites hitchcockiennes
Sa vie bascule en Finlande. « C’est là-bas, que j’ai fait mes premières expo ». Au Musée d’art contemporain d’Helsinki -avec ses Suites hitchcockiennes- et au musée des Beaux-Arts d’Hyvinkää. Nous sommes en 2003. Il marque les esprits. La presse le remarque. Une galerie parisienne aussi. Pari réussi. Avec le recul, Fiévet s’amuse à raconter sa rencontre avec la directrice du musée d’Helsinki : « je l’ai appelée en direct. Sans la connaître. Elle m’a donné rendez-vous le jour même : je vais prendre sur mon heure de déjeuner, a-t-elle ajouté. Ne me remerciez pas, ça fait partie de mon travail… » C’est sans doute cette même spontanéité, cette même quête d’insolite et de liberté, qui ont incité l’artiste né en 1969 à prendre la tête du Lab’Bel en 2010. Ce « laboratoire » émane du groupe Bel et soutient l’art contemporain à travers un parti pris rythmé par « l’humour, le décalage et l’impertinence ». Dans cette aventure, Fiévet a carte blanche. Avec la complicité de Silvia Gerra, il peut aussi bien piloter un projet de boîtes collector de Vache qui rit, redessinées par Hans-Peter Feldmann ou Thomas Bayrle, mener une série d'expos associant jeunes artistes contemporains et sites iconiques de l'architecture moderniste, ou mettre « à nu » les vingt-cinq œuvres déjà acquises par le Lab’Bel dans La Maison de La Vache qui rit à Lons-le-Saunier, au musée des Beaux-Arts de Dole et dans le jardin du Belvédère Calonne de Sappel, à Baume-les-Messieurs. L’art devient alors jeu, récréation, respiration. Sous l’œil amusé de la célèbre vache dessinée par Rabier et dont le fromage se retrouve dans bien des plats préparés par Fiévet, dans sa maison du XIe arrondissement.