Profession : reporter
« J’ai fait des études de biochimie à Orsay », confie Frédéric Laffont. Quand il n’était pas à la fac, « je passais du temps à Gustave Roussy », le centre de lutte contre le cancer situé à Villejuif. Là, il traînait dans les services, pour voir, entendre, écouter, s’imprégner. Puis, à 20 ans, il veut s’inscrire à La course autour du monde. Ce jeu télé, diffusé de 1976 à 1984 sur Antenne 2, mettait en concurrence de jeunes reporters qui parcouraient le monde en solo, en six mois. Il se souvient encore du questionnaire à remplir pour participer : « Il faisait… 23 pages ! » Son profil est retenu pour la dernière année d’existence de l’émission. « J’ai découvert le manuel d’utilisation de la caméra Super 8, dans l’avion », raconte Frédéric Laffont en souriant. Puis il évoque la liberté qu’il a eu durant ces six mois sur les routes : « Il y avait comme une évidence. » Reste qu’à son retour en France, il reprend ses cours à Orsay, tout en gardant en tête cette appétence pour l’écoute et la découverte de l’autre, des autres. « C’était ancré en moi, dit-il. J’ai grandi dans des histoires : celles de mon arrière-grand-père résistant, celles des habitués de la buvette du stade Marcel Cerdan à Malakoff… J’écoute depuis que je suis tout-petit. »
« Avec Thierry Garrel, j’ai appris à lire et à écrire »
« J’ai appris en faisant et c’est encore vrai aujourd’hui. » Un mode opératoire qui induit la quête, le tâtonnement, la recherche et gomme toute suffisance, toute insolence. Le reporter se construit, se façonne, au fil du temps, des expériences et des rencontres. Frédéric Laffont cite illico Thierry Garrel, ancien patron de l’unité documentaire d’Arte. Il l’a dirigée depuis sa création en 1992 jusqu’en 2008. « Avec lui, j’ai appris à lire et à écrire. » Pour lui, il va partir au Rwanda, au Liban, dans les coulisses de CNN… et multiplier les récompenses, dont le Prix Spécial du Festival du Scoop d'Angers, en 1996, pour Maudits soient les yeux fermés. Des trophées qui s’ajoutent à un Prix Albert Londres, décroché en 1987 pour La Guerre des nerfs, reportage sur la vie quotidienne à Beyrouth en temps de guerre. La guerre qui hante ceux qui la font, ceux qui la voient, ceux qui la filment.
« A la télévision, le documentaire a perdu sa dimension cinématographique »
Depuis 2011, Frédéric Laffont réalise des documentaires pour Hermès, « sans être client de la maison ». Quand on lui demande pourquoi ce choix, il répond : « Pour la confiance et la liberté qui me sont accordées, mais aussi pour un récit du monde qui n’est pas moins pertinent à mes yeux que ceux que j’ai faits dans le passé. » Il ajoute : « A la télévision, les Thierry Garrel ont disparu… Le documentaire a perdu sa dimension cinématographique, les regards d’auteurs, les écritures singulières. Trop de documents, d’images prétextes à des thèses, trop de commentaires… A Beyrouth, au Rwanda, l’idée était de ne pas marcher dans les pas des autres. On l’a dit et on l’a fait. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. En tout cas, à la télévision. Je suis en train d’écrire un documentaire pour le cinéma : ma quête de liberté me fait aller plutôt de ce côté-là… Et avec Hermès, j’ai également la possibilité de raconter le monde en dehors de tout formatage. » Impossible de fonctionner autrement pour celui qui, à 20 ans, vivait en Chine « avec une carte d’étudiant à Taïwan, achetée à Hong Kong, qui me permettait de séjourner dans des hôtels interdits aux étrangers ». C’était un peu après La course autour du monde. Aujourd’hui, il part pour Empreintes sur le monde, une collection de courts métrages où il pose un ton et un regard inédits, inattendus, sur la maison Hermès. Une aventure qui le mène aussi bien dans un appartement familial à Tokyo que dans un Esat (Etablissement et service d’aide par le travail) à Sorède ou au sein de la Goldfinger Factory à Londres. Frédéric Laffont continue d’aller là où d’autres ne se risquent pas. Avec la complicité, une fois de retour à Paris, de la monteuse Catherine Rascon : « Elle est mon nouveau Thierry Garrel », avoue-t-il dans son bureau caché au bout d’un couloir, au rez-de-chaussée de la maison d’éditions Les Arènes. « Quand on allait sur les conflits, on pensait dire des choses qui allaient changer la donne. Et puis, rien… » Lorsqu’il s’épanche ainsi, il est debout dans une pièce aux allures de salle de rédaction, où il resterait quelques stigmates de bouclages tardifs, à l’arrache. « Je lis encore un peu la presse, mais moins qu’avant, conclut Frédéric Laffont. Je préfère la lecture des romans ou celle des livres de physique quantique auxquels je ne comprends rien, mais que j’appréhende comme de la poésie. »