Prophète en son pays
Pour certains, c’est un hippie. Pour d’autres, un anar chic. Pour d’autres encore, un business man. Cyril Aouizerate est sans doute un peu de tout ça à la fois. C’est aussi un précurseur. Un aventurier. Quand il raconte son premier voyage à New York en 1986 et ses errances dans Brooklyn, son récit prend des airs de road movie : « Je marchais toute la journée, sans guide, sans argent, pour découvrir, apprendre, comprendre, rencontrer, comme un ethnologue. » Au terme de ses études, il aurait dû être prof. De philo. Discipline à laquelle il s’est initié au Mirail à Toulouse, ville où il est né en 1969, puis à la Sorbonne et même jusqu’à Jérusalem, où il a suivi les cours de Yeshayahou Leibowitz à l’Université hébraïque. De ce parcours initiatique sont nés deux bouquins de philo. Mais Aouizerate a subitement bifurqué. Penser, c’est bien. Faire, c’est mieux. La vie d’enseignant ? Pas pour ce touche à tout. Rester derrière un bureau ? Impensable pour ce curieux de tout. Sa rencontre avec Alain Taravella, fondateur et patron d’Altarea Cogedim, va lui ouvrir d’autres horizons. « J’ai fait mon apprentissage professionnel à ses côtés, confie-t-il. Il m’a appris à monter un projet et à le concrétiser. » De 1995 à 2000, il va donc repenser la ville, les territoires urbains, les centres commerciaux. Une immersion au cœur du béton, à même le bitume, qui lui donne des envies. Dont celle de créer des hôtels, des restos, des lieux de vie. Dans des zones où personne ne va… encore.
Couche-tard, lève-tôt et… trip de trop ?
A l’orée des années 2000, il trouve un terrain rue de Bagnolet : « C’était un ancien garage. » A l’époque, ils sont rares à investir dans ce quartier de Paris. Aouizerate, lui, y voit l’avenir. Une zone « en devenir ». C’est là qu’il veut créer un hôtel. Avec prix attractifs et espaces pour recevoir tous les gens, tous les genres : voyageurs, geeks, familles, tribus, couche-tard, lève-tôt… Un trip de trop ? Pas pour Philippe Starck, qui le suit dans ce projet un peu dingo. Puis, le duo va convaincre Serge Trigano, l’ex patron du Club Med, de se lancer à son tour dans ce qui va devenir, en 2008, le premier hôtel de la chaîne Mama Shelter. Le succès est immédiat. Alors ça donne d’autres idées à Aouizerate. Il crée un resto à Brooklyn, le MOB - pour « Maimonide Of Brooklyn » -, ciblé sur le bio, le végétalien et le partenariat avec de jeunes agriculteurs de l’Etat de New York. C’est de nouveau un carton. Ses idées font mouche. En 2014, il revend ses parts du « Mama ». Joueur, mais pas flambeur, il mise le tout sur la création d’un MOB à Saint-Ouen, « car il y a une vie de l’autre côté du périph’ ». Un MOB XXL comparé à celui de Brooklyn, avec hôtel, resto bio, terrasses, cinéma extérieur, potager, pop-up stores... Son tour de force ? Avoir embarqué Steve Case, le patron d’AOL, et Michel Reybier, à la tête du groupe hôtelier La Réserve, « dans un projet en Seine-Saint-Denis ». Un vrai pari et sa vision, à lui, du Grand Paris où il aime autant les tours de La Défense que celles des Olympiades du 13e arrondissement, « quartier cher à Houellebecq et dont j’ai déjà parlé avec lui ». A la question que faites-vous dans la vie ? », Aouizerate répond pour se marrer : « J’essaie de m’occuper ». Quand il est plus sérieux, il dit « aubergiste », en rappelant être « un descendant d’Abraham, le fondateur de l’hôtellerie ».