Son fils, sa bataille
J’ai le souvenir d’une matinée pluvieuse, à Paris. Rue Balzac. Je suis en retard à un rendez-vous. Je marche vite, sous des trombes d’eau. Ça glisse et le téléphone sonne. Le nom de Cécile Pivot s’affiche : c’est la rédactrice en chef de Maison Française. Il faut toujours répondre à un(e) rédac chef… Je décroche, les mains trempées, sous un porche d’immeuble. « Veux tu reprendre la rubrique Entretien ? Tu travailleras avec le photographe Bruno Comtesse… » Nous sommes fin 2014. Ce sont ces interviews et portraits réalisés avec Comtesse pour la presse déco qui vont déboucher sur la série des Etre(s) Singulier(s), relayée sur le blog 1 Epok formidable, depuis 2015. Alors quand j’ai su que Cécile Pivot publiait son premier livre – en librairie aujourd’hui -, il paraissait naturel de lui faire une place parmi ces « singuliers ». Et ce d’autant que son ouvrage, intitulé Comme d’habitude (Calmann Lévy), n’a rien de banal. Il prend les allures d’une longue lettre destinée à son fils Antoine. Un fils autiste, qui a aujourd’hui une vingtaine d’années.
« Il se cogne à l’existence »
Une leçon de courage ? Cécile Pivot ne voit pas son travail d’écriture ainsi. « J’avais envie de faire un livre. Le sujet s’imposait. Ça m’a fait du bien. » S’épancher l’a donc soulagée. Apaisée peut-être aussi. Surtout après avoir quitté la presse en 2015. « J’avais été salariée pendant dix-neuf ans. Je me retrouvais soudain toute seule chez moi. J’allais faire quoi ? » Elle a alors farfouillé dans les notes prises au fil des ans, au fil de l’enfance, puis de l’adolescence d’Antoine. Son livre n’a rien de chronologique pourtant. « Je l’ai articulé par thèmes. » Un exercice de style ponctué de phrases qui font mouche. Parlant de son fils, elle écrit par exemple : « Il se cogne à l’existence. » Et elle ne gomme en rien son impuissance face à un enfant qu’elle ne comprend pas toujours. Même encore aujourd’hui. « De la culpabilité, j’en ai à revendre », couche-t-elle également sur le papier. Et ses mots s’ajustent un peu plus encore lorsqu’elle disserte sur « le regard des autres ». Sensible, attentive, à l’écoute, elle observe tout et tout le monde. D’aucuns la croient dans sa bulle. Mais elle voit ce que les autres négligent. Elle sent, elle ressent autrement. Ça l’isole tout en décuplant sa force « pour continuer ».
« Je rêve de passer une journée dans ton cerveau »
« J’ai parfois pleuré en rédigeant ce livre ». Un mal de mère nécessaire. Quant à l’épisode lyonnais, où elle confie la garde de ses deux enfants à une femme qui les maltraitait, elle a hésité à la livrer. Comme ça. Froidement. Sans prendre de gants. L’aveu est brutal. Mais elle l’assume et ne parle toujours pas de courage de sa part. « Je rêve de passer une journée dans ton cerveau pour y traquer tes angoisses et tâcher de les apaiser », poursuit-elle à l’intention d’Antoine, désormais accueilli en hôpital de jour. Cécile Pivot, elle, a fini par apprivoiser sa maison de Malakoff comme étant aussi un lieu de travail. « J’ai installé mon bureau dans le garage. » A l’abri des regards. Tel un refuge ? Elle termine un café dans sa cuisine, jette un œil sur Dimanche, le Flat Coated de la famille, et reconnaît qu’elle aimerait se lancer dans l’écriture d’un roman. Une nouvelle aventure pour cette fille de journalistes, qui, ado, ne pensait qu’à « embrasser les garçons ».