Tout pour la musique
Les tentes du staff sont déjà installées. Un drapeau de pirates trône au-dessus de l’une d’elles. Il donne le ton de ce qu’est Rock en Seine : un festival à part, né d’une soirée bien arrosée entre copains et peaufiné sur le coin d’une table de 50 cm qui faisait alors office de bureau à François Missonnier. C’était à l’aube des années 2000. Une maîtrise de Sciences éco et un DUT d’informatique décrochés à la fac de Clermont-Ferrand, il venait de passer les années 1990 à Canal+. D’abord à la direction commerciale, puis à la tête de la billetterie Ticket+, avant de coordonner des projets à la direction générale. Parmi ses faits d’armes : la venue de U2 et de Michael Jackson au Parc des Princes -« le contrat du premier a été signé dans les loges d'un concert des Sex Pistols au Zénith »-, la création du festival Rock à Paris -« qui n’a tenu qu’une édition, mais avec Bowie sur scène »- ou encore la main mise sur le marché de vente par téléphone des billets pour la coupe du monde de foot de 1998. L’aventure Canal+ s'achève en 2001. C'est l’ère Messier. Missonnier est viré « pour désobéissance » : « c’est ce qui était écrit sur ma lettre de licenciement ». Epoque formidable. L’électron libre prend son chèque, se débarrasse de sa « 205 Open » -« je l’avais depuis 1989 »-, la remplace par un cabriolet et part faire le tour de France pendant deux mois. Histoire de prendre l’air et du recul. A son retour à Paris, cet héritier de ce qu’il appelle la « pop culture » -« un mix de musique, ciné, BD, romans, jeux vidéo… »- ne veut plus travailler dans de « grandes boîtes ». « Et si on remontait un festival de rock en Ile de France ? », propose-t-il à un copain, un soir au Globo. « C’était les débuts des Strokes, des Libertines… », se souvient Missonnier. Il échafaude un projet entre table de cuisine et table de chevet. Ils sont nombreux à ne pas y croire. Il trouve néanmoins un écho auprès de la Région Ile de France. Jean-Paul Huchon lui dit banco. Reste le lieu.
« Arcade Fire est revenu sur scène, sous des trombes d’eau, pour interpréter Wake Up a cappella »
En décembre 2002, on lui propose le Domaine de Saint Cloud. Il flashe sur le parc. Neuf mois plus tard, le 27 août 2003, la première édition de Rock en Seine réunit près de 20 000 spectateurs sous le soleil. Le festival dure une journée avec déjà du lourd à l’affiche : Massive Attack, PJ Harvey, Beck, Morcheeba… Aujourd’hui, le festival dure trois jours, compte quatre scènes, rassemble 120 000 fans et Missonnier -également à l’origine du festival Europavox- accumule les anecdotes. Comme l’annulation au dernier moment du concert d’Oasis, en 2009, et la séparation des frères Gallagher dans la foulée. « C’est dans des moments comme ça que l’on voit l’efficacité des équipes », dit-il. Ce soir-là, Madness a accepté de rejouer pour éviter la scène déserte. Mais son meilleur souvenir reste l’interruption du concert d’Arcade Fire, l’année suivante, à cause de la pluie : « le groupe est revenu sur scène, sous des trombes d’eau, pour interpréter Wake Up a cappella et 30 000 personnes ont chanté avec eux ». Missonnier parle de « communion avec le public », de « moment fusionnel », qu’il ne compare à rien d’autre. Et dire qu’on le prenait pour un fou quand il concoctait son festival, seul chez lui : « j’étais dans la spontanéité, l’artisanat ». Même sa famille doutait. « A la première édition de Rock en Seine, j’ai croisé mon père dans le public. Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre et il m’a dit : c’est gonflé, quand même. Car je n’y croyais pas à ton truc ! » Depuis, ses parents foulent la pelouse du parc de Saint-Cloud chaque année en août.