Traits d’union
Ils se sont rencontrés devant la gare Saint-Lazare, à Paris. C’était en 1990. Elle avait besoin d’un scanner. Il était geek avant l’heure. « A l’époque, il parlait déjà des échanges que nous aurions tous, un jour, avec des boîtes aux lettres virtuelles », se souvient Helena Ichbiah. « Pour mon diplôme de fin d’études aux Arts Déco, j’avais besoin d’un ordinateur et d’un scanner. C’est pour ça que j’étais équipé », se justifie Piotr Karczewski. Ils se sont donné rendez-vous à Saint-Lazare, sans s’être jamais vus avant. « Il était à l’heure », dit-elle. « Je l’ai reconnue à ses chaussures de… vieille ! », ajoute-t-il. Sortie de l’École de communication visuelle, elle vivait du côté de Pernety. Lui, dans le XVIIIe. Elle bossait pour le créateur de vêtements malien Xuly Bët, dans le squat d’artistes de l’Hôpital Ephémère, rue Carpeaux. Lui, en marge des Arts Déco, planchait sur des bornes interactives pour le compte de la Fnac. Ils se sont trouvés au pied de la Consigne à vie d’Arman, cour de Rome, et ne se sont plus quittés : époque formid’ ! « D’emblée, on a fait beaucoup de 3D », détaille-t-elle. Pour la pub notamment. Leurs noms coupés ? « On l’a fait parce que beaucoup nous prenaient pour des étrangers : lors d’une réunion à la Fondation Cartier, on nous a parlé en anglais ; chez Colette, on nous a demandé si nous arrivions d’Israël : non, juste de Montreuil ! » Ichbiah et Karczewski sont alors devenus Ich&Kar.
« Ni gourou, ni maître »
Positionnés comme graphistes, ils ont cette capacité à volontiers mélanger les métiers et travaillent avec des photographes, illustrateurs, peintres, architectes… Leur moteur ? La curiosité, l’instinct, l’audace. Ils observent, sentent, touchent à tout… comme ça, pour voir, pour savoir. Le duo revendique « ni gourou, ni maître ». Ils partent d’un sujet, d’une idée pour « créer l’influence ». Jamais l’inverse. Les mots « mode », « code » et « tendance » ne font pas partie de leur vocabulaire. Ils ne s’enferment dans rien. Mais s’ouvrent à tout. Depuis 1991, année de création de leur studio, ils gravitent aussi bien dans l’univers de la musique -pochettes de disques pour Rachid Taha…- que celui de la gastronomie -menus pour Michel Troigros…-, du prêt-à-porter -Tati, Eram…-, du luxe -Chanel, Guy Laroche, Saint-Laurent, Christofle…-, de la déco -Bazartherapy…-. Avec eux, ce n’est que du « jamais vu avant ». A l’instar du papier peint, objets et pièces de mobilier qu’ils ont créés en partant des pavages imaginés par le mathématicien britannique Roger Penrose : il fallait y penser ! Electrons libres, Ich&Kar ne s’encombrent de rien, voyagent léger, souvent à pied, parfois en taxi… faute de permis de conduire. Ce qui ne les empêche pas de partir loin : Mexico pour le plaisir, Los Angeles ou New York pour le boulot. Mais Montreuil reste leur camp de base depuis les années 1990, où leur maison-bureau oscille entre boîte de nuit et surtout boîte à idées.